On sait que les
blancs qui vinrent s'installer en Nouvelle-France au XVIIe siècle
furentenchantés de trouver sur place du sucre et du sirop
en provenance de la sève de l'érable. Ce sont les
Indiens qui leur apprirent comment exploiter cette merveilleuse
ressource alimentaire. Depuis lors, les produits de l'érable,
sucre, sirop, tire*, bonbons font les délices des Québécois
surtout à la saison des sucres, c'est-à-dire au
début du mois d'avril quand la sève se remet à
couler dans les érables à sucre.
Il y avait une
fois un petit Indien qui s'appelait Petit Coyote. Par une journée
où la neige était en train de fondre, il se promenait
dans le bois en quête de gibier. Cette année-là,
tous les champs qu'on avait cultivés autour du village
n'avaient donné que peu de légumes : les courges
étaient demeurées de la grosseur des noisettes,
les haricots étaient à moitié vides, les
épis de maïs manquaient de grains. On n'en était
qu'à la saison où fond la neige, et déjà
les paniers à provisions étaient presque vides.
Le chef du village s'inquiétait fort, car il restait beaucoup
de lunes avant la nouvelle récolte. Aussi, avait-il ordonné
à tous les garçons en âge de manier un arc
et des flèches de partir à la recherche du gibier.
Petit Coyote n'était
pas bien vieux : c'était même une de ses premières
chasses. Mais il s'était bien promis de rapporter un animal
quelconque.
« Qu'est-ce
que je vais rapporter ? se demandait Petit Coyote. Une gélinotte,
avec sa robe tacheté ? Une alouette qui porte une demi-lune
sur la gorge ? »
Soudain Petit
Coyote aperçut une perdrix : elle avait mis sa robe blanche
pour se confondre avec la neige mais Petit Coyote avait de bons
yeux et il l'aperçut quand même. Il murmura en lui-même
une formule pour l'amadouer :
Perdrix, perdrix
Toi qui voles, toi qui fuis
Viens-t'en par ici
Que je t'attrape, jolie perdrix.
Avec précaution, il sortit une flèche de son carquois,
la plaça sur son arc, visa longuement, et zip ! Mais la
perdrix s'était envolée et la flèche de Petit
Coyote s'était plantée dans un de ces arbres dont
les feuilles deviennent rouges dans le mois des feuilles qui tombent.
« Je suis
bien triste, se dit Petit Coyote, c'est bientôt l'heure
de rentrer dans la hutte rejoindre mon père Grop Loup,
ma mère Plume Bleue et ma sœur Petite Hermine. Et
je n'ai rien à apporter pour le repas du soir. »
Il s'approcha
de l'arbre dont les feuilles deviennent rouges dans le mois des
feuilles qui tombent. Il tira fort sur sa flèche afin de
pouvoir la remettre dans son carquois.
- Oh ! dit-il,
il coule de l'eau de cet arbre, à l'endroit où ma
flèche s'est plantée.
Petit Coyote goûta
cette eau : elle était sucrée.
« Hum !
c'est bon » , se dit-il. C'est alors qu'il eut une idée.
Vidant son carquois de ses flèches, il recueillit le plus
qu'il pouvait de cette eau sucrée.
- Si je ne rapporte
pas de gibier pour le repas du soir, je rapporte au moins une
eau qui est agréable au goût.
Et voilà
Petit Coyote tout heureux sur le chemin du retour, avec son carquois
d'écorce rempli d'eau sucrée. Il marcha, marcha
du côté de la lumière du jour qui se couche.
Quand il arriva dans son village, le repas du soir mijotait déjà
dans la plupart des huttes. Petit Coyote entra dans sa hutte.
Son père
Grop Loup était triste. Sa mère Plume Bleue était
triste, sa sœur Petite Hermine était triste. La chasse
n'avait rien donné ce jour-là et il n'y avait pas
le plus petit bout de viande à mettre dans la marmite.
Plume Bleue avait quand même attisé le feu, et l'eau
de la marmite, qu'elle avait posée sur les pierres brûlantes,
chantonnait doucement. Lorsque Petit Coyote entra dans la hutte,
tous les yeux se tournèrent vers lui : apportait-il quelque
oiseau à jeter dans la marmite ?
- Tenez, dit fièrement
Petit Coyote en tendant son carquois, j'ai trouvé de l'eau
au bon goût qui coule de l'arbre dont les feuilles deviennent
rouges dans le mois des feuilles qui tombent.
Son père
Grop Loup, qui s'attendait à un gibier plus consistant,
attrape le carquois avec impatience et le jette sur les pierres
brûlantes de l'âtre.
Aussitôt,
une bonne odeur de sucre emplit la cabane. L'eau sucrée
se met à pétiller sur les pierres brûlantes,
se transformant en sirop d'érable comme nous le connaissons
aujourd'hui. Étonnés, Grop Loup, Plume Bleue, Petite
Hermine et Petit Coyote recueillent prudemment ce liquide gluant
qui coule sur les pierres.
- Hum ! s'écrient-ils,
c'est bon !
- Tu dis que tu as recueilli cette eau à même l'arbre
dont les feuilles deviennent rouges dans le mois des feuilles
qui tombent ? dit Grop Loup à Petit Coyote.
- Mais oui, et je peux te montrer l'endroit.
- Inutile d'aller si loin, dit Grop Loup ; notre hutte est entourée
de ces arbres. Viens avec moi : nous allons voir s'il contiennent
aussi de l'eau qui goûte bon.
Ils sortent dans
la forêt, dans la lumière du jour qui tombent. Grop
Loup fait une entaille dans un érable avec son tomahawk
: il fabrique un petit chalumeau à l'aide d'une branche
vidée de sa moelle : il y accroche la marmite familiale.
Ensuite, tout
le monde rentre se coucher. Le lendemain matin, la marmite est
remplie de l'eau qui goûte bon ! Plume Bleue l'apporte dans
la hutte et la dépose sur des pierres brûlantes qu'elle
avait fait chauffer dans l'âtre. Peu à peu, l'odeur
de sirop se répand dans la hutte et dans les alentours.
Les voisins s'approchent pour savoir quelle est cette odeur nouvelle
si agréable. On fait circuler les gobelets d'écorce
remplis de sirop d'érable. Tout le monde est joyeux : personne
n'a jamais rien goûté de semblable. Bientôt,
tout autour du village, chaque arbre dont les feuilles deviennent
rouges dans le mois des feuilles qui tombent se trouva muni d'un
chalumeau et d'un récipient en écorce pour recueillir
l'eau qui goûte bon. La nouvelle fit le tour des villages
voisins. Toute la forêt se mit à embaumer. Grâce
à cette nouvelle nourriture, les Indiens purent voir venir
la lune d'été sans trop de famine, car le bon sirop
les rendait forts et joyeux, et quand on est fort et joyeux, la
chasse est meilleure.
Quand la neige
eut presque complètement disparu, le chef du village proposa
qu'on fasse une grande fête en l'honneur du mets nouveau
que Petit Coyote avait fait découvrir aux Indiens. Lors
de cette fête, le chef prit la parole :
- Chaque année,
quand le vent du sud enverra les oies et les canards annoncer
au vent du nord sa prochaine venue, quand l'eau se remettra à
couler, quand les montagnes déchireront leur couverture
blanche, les Indiens transperceront les arbres dont les feuilles
deviennent rouges dans le mois des feuilles qui tombent. Ils en
tireront l'eau qui a bon goût, et ils en feront du sirop
à l'aide des pierres brûlantes. Quant à Petit
Coyote, je prédis qu'il deviendra un grand chef et qu'il
fera l'honneur de sa tribu.
Le fête
dura longtemps. Chaque année, à la lune de la neige
qui fond, les Indiens de cette tribu célébrèrent
la fête du sirop d'érable.
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